Un parc de panneaux photovoltaïques voisine avec les deux plus grands terrils d’Europe. L’image est belle, les photos aussi. Pour un peu, on dirait un cliché fumeux d’agence de communication. Il n’en est rien. Aux côtés - entre autres - de l’écoquartier résidentiel londonien de BedZED et de Fribourg, ville allemande pionnière en écologie urbaine depuis une vingtaine d’années, le village de Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, fait office de vitrine pour le développement durable appliqué.
Au point que la commune de 7 000 habitants (pour 3 500 logements), qui jouxte Lens, reçoit chaque année des centaines de visiteurs (scientifiques, politiques, syndicalistes, militants, architectes, journalistes, écotouristes…) aimantés par la singularité de cette cité minière plombée par l’arrêt de l’extraction du charbon en 1986 qui s’est muée en pionnier des énergies douces. Et, partant, en exemple d’une transition énergétique concrète en matière d’urbanisme et d’habitat.
Horloge astronomique. A Loos, la réalité a dépassé l’affliction. Mais, Grand Dieu, par quel miracle ? Laissons le divin en dehors de l’affaire, et promenons-nous le nez au vent, sur un mode impressionniste, dans cette vaste (1 270 hectares) commune qui respire la campagne avec ses innombrables quartiers de maisonnettes en briques séparés par une verdure omniprésente.
Premier constat : mis à part quelques petits bâtiments collectifs récents à l’architecture singulière, rien ne laisse supposer que l’on se trouve ici dans un laboratoire de la transition énergétique. Difficile, en effet, de soupçonner, derrière les façades des bâtiments publics, les efforts réalisés en matière d’isolation. Ou encore le recours systématique à l’écoconstruction dans les édifices communaux et dans les logements sociaux. Impossible aussi de deviner que l’installation de chaudières à condensation dans deux écoles et deux salles municipales a permis de réduire de 20% les dépenses de chauffage. Ou que, dans les rues, l’utilisation d’horloges astronomiques fait réaliser à la commune 20% d’économies sur la globalité de son parc d’éclairages publics.
Dès lors, comment procéder ? Une visite au garage de la municipalité, qui compte six véhicules GNV (gaz naturel non polluant, à ne pas confondre avec le GPL, gaz de pétrole liquéfié) et une voiture électrique, offre une première illustration concrète. La ceinture verte de 15 kilomètres, qui marque les limites de l’urbanisation de la commune et favorise l’écomobilité en permettant aux habitants de se déplacer à bicyclette dans une zone sécurisée, itou. Et si on lève les yeux au ciel, en s’arrêtant sur le toit de l’église, on aperçoit des panneaux photovoltaïques qui produisent annuellement l’équivalent de la consommation électrique de douze ménages. Mieux, l’installation de la collectivité a fait florès chez les particuliers : 31 foyers loossois sont désormais autosuffisants en électricité.
Grâce à l’énergie solaire thermique, le foyer-logement pour personnes âgées réalise, lui, 30% d’économies sur le chauffage de l’eau chaude sanitaire. Bientôt, sur l’une des plaines agricoles de la commune, six éoliennes seront installées. Enfin, la plus flagrante réalisation en matière de gain d’énergie : le projet Villavenir. Soit six maisons expérimentales d’architectures diverses, construites en 1999, à haute performance énergétique et utilisant cent technologies différentes, qui ont été rétrocédées à un bailleur social.
«Silicose». De l’énergie verte au pays des gueules noires : paradoxe et/ou revanche de l’histoire ? Jean-François Caron, 55 ans, maire (Europe Ecologie-les Verts) de Loos-en-Gohelle depuis 2001, kiné de formation, a son idée sur la question. «A Loos, nous sommes le résultat de la non-rentabilité. On a produit de l’énergie fossile qui a contribué à la destruction de la planète du point de vue du réchauffement, une activité incompatible avec le développement durable, rappelle le maire et conseiller régional.Les impacts humains étaient monstrueux : les hommes mourraient de la silicose ou dans des accidents et ne voyaient jamais la retraite. Les territoires ont été détruits. Et les gens avec eux. Entre 1980 et 1990, on était dans une époque où il y avait ici un rejet et un déni complet de l’histoire minière», raconte l’élu.
Il fallait tout raser. Lui s’y est opposé. Convaincu que la population ne pouvait se redresser en occultant son passé. Objectif : faire regagner à ses administrés la fierté de leur terroir pour qu’ils aient le désir de se le réapproprier, de le réinvestir, mais différemment. Car, avant même de penser et parler écologie, développement durable et transition énergétique, c’est d’abord de transition idéologique et politique dont il a été question à Loos-en-Gohelle. De généalogie, aussi.
Caron père, Marcel de son prénom, maire (PS) de 1977 à 2001, s’était battu pour que les carreaux de fosses ne soient pas détruits, a contrario de son homologue de Lens qui voulait effacer tous les stigmates de cette période minière, jadis synonyme de prospérité mais aujourd’hui douloureuse. Il a gagné son combat. Non seulement les puits n’ont pas été rasés mais, depuis septembre 2002, est né à leur pied un lieu baptisé «Base 11/19». Il abrite le CD2E, Centre expert pour l’émergence des écotechnologies, initié en 2002 par Jean-François Caron, alors vice-président du conseil régional Nord-Pas-de-Calais. Depuis, cette structure s’est imposée comme un pôle de référence du développement durable grâce aux nombreuses activités pionnières en matière d’énergies alternatives, mais aussi d’écoconstruction et de développement des éco-entreprises.
Caron fils a lui aussi son totem. Ou plutôt ses deux montagnes grises de 186 mètres, plus hautes que la pyramide de Khéops. Ces deux terrils ont été classés en juin 2012 au patrimoine mondial de l’Unesco. Un bonheur et un honneur immenses dans le bassin minier qui a payé le prix de la précédente transition énergétique. L’occasion aussi de réaliser une implantation symbolique. Au pied des terrils, une plateforme photovoltaïque de recherche et développement produit 63 000 kWh par an. Baptisée LumiWatt, cette centrale solaire comptera à terme une soixantaine de structures fixes et mobiles qui serviront de support à 1 600 m2 de capteurs photovoltaïques.
Pour concrétiser ses projets politiques et écologiques dans une commune très modeste - elle ne totalise que 7 millions d’euros annuels de budget de fonctionnement -, Jean-François Caron ne s’en cache pas : il s’est appuyé et s’appuie toujours sur les aides publiques. «Pour le droit à l’expérimentation, à condition que le projet soit bon, on trouve toujours des financements de la part de la région, de l’Etat et de l’Europe.» Et le maire d’ironiser : «Les financeurs nous adorent, ils ont des politiques à mettre en œuvre et nous, on arrive avec des projets !»
Faible score du FN. Autre méthode de l’élu : la concertation citoyenne et l’implication des habitants. Toutes ces réalisations ont été décidées de concert avec la population. «Durant mon mandat 2001-2008, on a fait 200 réunions publiques, rappelle Jean-François Caron. J’ai été réélu en 2008 avec 82,1% des voix. Et, malgré les difficultés professionnelles et sociales de mes administrés - 6 foyers loossois sur 10 ne paient pas d’impôts sur le revenu -, on est une des communes du département où le FN enregistre ses plus faibles scores.» Pourquoi ? «Grâce aux réalisations concrètes. La population est concernée et impliquée dans les projets.»
Pourtant, le maire l’affirme : «Vous ne trouverez personne ou presque ici pour dire que l’on fait du développement durable et de la transition énergétique.» Paradoxe, encore ? «Non. Les gens ne théorisent pas, ils n’ont pas conscience de ça. Ils disent juste que c’est du bon sens d’isoler son logement et de faire baisser sa facture d’énergie. La participation de la population est un processus long, high-tech, et elle doit être méthodiquement orchestrée.»
Au bar L’artiste, Cédric, le patron, arrivé sur la commune il y a six mois, s’est mis à l’heure loossoise sur le plan énergétique. Par atavisme local ? «Non, par envie d’économies», répond-il sans détours. Quand il a repris ce bistrot, quartier général des jeunes de la commune, le trentenaire originaire de la région a changé tout l’éclairage du lieu pour des ampoules LED. «L’ancienne propriétaire payait 370 euros d’EDF par mois. Moi, ça me revient à 270 euros. C’est bien simple, l’ensemble de ma ligne de LED consomme en électricité l’équivalent d’un éclairage halogène. J’ai également fait installer une climatisation réversible.»
«Colibri». L’hyperactif Jean-François Caron n’a-t-il pas parfois le sentiment, sinon d’être un Don Quichotte, ou, pour le moins, de tenter de vider le Titanic à la petite cuiller ? «Non, répond-il. A Loos, ce qui est intéressant, c’est que ce propos sur le développement durable et la transition énergétique se fait en univers réel, avec des vrais gens et une histoire compliquée. Nous ne sommes pas les bobos de Fribourg.» Le maire y croit mordicus : «On va y arriver par des cellules-souches qui montrent qu’autre chose est possible ; Loos est une de ces cellules. A un moment, on fera système. La planète n’a pas le choix, et je veux y contribuer à mon échelle.»
Et l’élu d’illustrer son engagement par une histoire : «Un immense incendie ravage la savane africaine. Tous les animaux fuient, persuadés de leur impuissance face aux flammes. Tous, sauf un colibri, qui se transforme en micro-Canadair et multiplie les allers-retours à la rivière pour transporter des gouttes d’eau qu’il déverse sur le feu. Un hippopotame l’arrête et lui fait remarquer le caractère vain de son intervention. Le colibri ne se démonte pas et lui répond : "Ce n’est pas grave, je fais ma part."»
Ce que peut faire une ville en matière de transition énergétique: texte de B.Laponche
http://www.global-chance.org/IMG/pdf/GC32p116-121.pdf
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